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9 juillet 2011, onzième et dernière soirée : La Classe de Vestris
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Jalons de la vie de Bournonville
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Toni Lander vers 1965
Cliché par Henk Jonker, Amsterdam,- paru dans De Foerste Trin de Bent Schoenberg, -Carit Andersens Forlag, Copenhague |
C’est en sa dix-septième année que Toni s’est découverte une vocation d’enseignant. Le chorégraphe d’Etudes, Harald Lander, a créé son ballet sur elle, et la toute jeune Toni l’a aidé à l’enseigner à la troupe du Théâtre Royal. Peu après, Toni et Harald sont partis pour Paris et ce ballet allait connaître un succès mondial.
Toni disait toujours que c’est en enseignant qu’elle avait tant appris, car cela l’avait d’emblée forcé à analyser puis expliquer ce qui faisait « tourner les roues » de la mécanique. Non moins important était sa propre approche lorsqu’elle prenait le cours. Pour Toni, les moments où l’élève ne danse pas sont tout aussi utiles que ceux où il évolue devant le professeur. Elle voyait bien que certains danseurs bavardaient dans un coin, répétaient d’autres pas – en général ceux qu’ils savaient déjà parfaitement exécuter – ou s’observaient dans la glace en arrangeant leur tenue, tandis que leurs collègues évoluaient au milieu. Mais Toni observait et écoutait, prenait note des corrections que le professeur donnait aux autres, tout en se demandant si elle ne faisait pas la même erreur. C’est ainsi qu’elle tirait deux fois plus profit d’un cours que ses collègues.
A chaque fois que j’enseigne je pense à Toni et à la fin du cours, je demande à chaque danseur d’indiquer le nouveau concept qu’il aurait appris pendant le cours. « Imaginez-donc, dis-je, la rapidité de vos progrès si seulement vous vous atteliez à apprendre un seul nouveau concept par jour. »
Quant au geste mimique, Toni l’a appris auprès d’une légende du Théâtre Royal, Valborg Borchsenius, ancienne ballerine qui devint l’une des grandes interprètes des rôles de composition du théâtre. Le geste mimique classique peut ressembler à des signaux de sémaphore exécutés par un robot ; avec Madame Borchsenius, le geste vivait, et chaque concept était unique et parlant. Avant de parler, pense ! De même, si tu es danseur, avant de faire un geste, pense ! Ce sont ces instants de pensée, ces pauses entre le geste, qui sont la clef du naturel dans le geste mimique des ballets.
Par ailleurs, les Danois sont des artistes particulièrement musicaux. En vous transmettant un ballet ils ne donnent jamais les comptes. Celui qui fut mon professeur, Antony Tudor, détestait cela aussi : « Ne danse pas selon le pointillé des chiffres, disait-il, danse selon ce que la musique te dit. »
Lorsque Toni nous enseignait un ballet elle déclarait, « ce pas veut dire ceci » (en anglais : “This step ‘says’ this,”) et ensuite elle nous chantait la musique plutôt que de nous donner les comptes (…). Un danseur qui compte n’écoute pas la musique mais ne fait qu’écouter le chiffrage de la mesure ou les temps forts. Or, la qualité d’une œuvre musicale est dans ce que vous entendez et non pas dans les temps forts. Pour que votre danse ait un sens, il faut qu’elle soit musicale et Toni Lander était la musique même.
De ce que Toni nous a légué, c’était son amour de la danse qui primait - toute la danse et non pas seulement le classique. Avant de quitter la scène, elle s’est produite à mes côtés dans The Moor’s Pavane de Jose Limon presque 150 fois, et chaque spectacle était pour nous comme le premier. C’était en 1970, j’étais Othello et elle Desdemone. Après le premier spectacle Toni vint me dire à quel point elle regrettait n’avoir connu la danse moderne qu’à la toute fin de sa carrière scénique. Car elle dévorait le mouvement ! Voilà quelqu’un qui puisait sa félicité dans la danse elle-même et non dans les avantages que la danse eût peut-être pu lui procurer. Danser était tout son amour, et quant à ses collègues, eux l’aimaient plus que tout.
Bruce Marks
Pompano Beach, FL
Née à Copenhague, Toni Lander (1931-1985) est élève de l’Ecole du Théâtre Royal dont elle rejoint la troupe en 1948. Nommée soliste en 1950, elle quitte le Danemark pour devenir étoile invitée des Ballets Russes (1951-1952), du London Festival Ballet (aujourd’hui ENB) entre 1954 et 1959, et de l’Opéra de Paris. Dans cette ville, elle travaille avec Olga Preobrajenskaya et Liubov Egorova. En 1965 elle rejoint l’ABT à New York et épouse son collègue Bruce Marks dont elle a eu trois fils, tout en poursuivant une carrière scénique des plus exigeantes. En 1967 elle apparaît dans le film Les Six Ecoles de Bournonville, dont le responsable artistique est Hans Brenaa. En 1971, Toni et Bruce retournent au Danemark danser au Théâtre Royal, puis en 1976, elle suit son mari devenu directeur de Ballet West à Salt Lake City. Etablie aux USA, elle conquiert une grande renommée en tant qu’enseignante de la technique de Bournonville. Quelques mois seulement après sa nomination en 1984 comme Directrice de la danse au Théâtre Royal, Toni meurt subitement, privant le monde de l’art d’un être dont la beauté morale allait de pair avec d’immenses qualités artistiques.