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Etude de certaines difficultés de la technique classique
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La sculpture en Tutto Tondo : quelques éclairages
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Gian Lorenzo Bernini (1598-1680), Apollon et Daphné, Galerie Borghèse, Rome
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Le pouvoir d’une œuvre en ronde-bosse ne se résume donc pas à un phénomène de ressemblance, et pas seulement dans le cas de l’enfant au bâton, qui de toute façon fait vivre son rêve. Pour confondant qu’il soit parfois, le degré de mimétisme atteint par un artiste n’est en effet qu’un aspect de son travail. Certaines sculptures, à l’époque baroque par exemple, se déploient si largement dans les trois dimensions qu’elles déclenchent un mélange de fascination et d’avidité esthétique : la complexité gestuelle des figures du Bernin engage automatiquement le spectateur à se déplacer autour d’Apollon et Daphné (fig. de la page précédente), à en traquer le plus infime détail, cependant qu’il s’émerveille à chaque instant de la diversité des images qui s’offrent à lui. Dans cette apothéose du tutto tondo, l’œuvre est absolument éloquente sous tous les angles. Non seulement sur le plan de la beauté plastique, mais parce que chacun raconte un moment de l’histoire : l’un révèle la poursuite de la nymphe par Apollon, l’autre sa métamorphose en laurier lorsqu’il croit l’attraper ; ici, c’est une harmonie fugitive entre eux qui apparaît, là, un désaccord. Ailleurs, une floraison subite, qui dérobe Daphné pour toujours aux assauts du dieu. Le corps cède sous le jaillissement du feuillage. Il disparaît. Les bras se joignent et se défont. On avance de quelques pas. Et tout recommence.
A priori contradictoire avec l’art de la statuaire, la notion de développement dans la durée suggère ici la réalité du temps lui-même…
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Donatello (Donato di Niccolò di Betto Bardi, dit), (1386-1466), Saint Georges, Florence
(Cliché : http://employees.oneonta.edu/) |
Cette puissance du tutto tondo peut d’ailleurs se manifester dans l’allusion tout autant que dans la démonstration la plus spectaculaire. Le Saint Georges de Donatello (fig. ci-contre), à l’aube de la Renaissance, en constitue un parfait exemple : un homme, en léger retrait dans la profondeur de la niche où il se tient debout. Il regarde au loin, sourcils froncés. Vigilant, en digne soldat. Tout semble dit. Mais le langage du corps n’est pas si univoque. En suivant mentalement dans l’espace les directions indiquées par tous les détails de sa posture, on s’aperçoit que Saint Georges est en réalité une figure du devenir. Le poids du corps se déporte légèrement sur la jambe gauche, du côté où le saint tourne son visage. La jambe droite plus détendue, dit le calme et surtout le répit possible… Sous l’effet de ce classique contrapposto, l’épaule gauche remonte. A peine. Mais cela suffit à trahir les tensions qui l’habitent. Les doigts de sa main droite se referment légèrement sur le bouclier orné d’une croix : un axe qui ne faillira pas, la certitude géométrique sur laquelle l’œuvre se construit. L’articulation du bras gauche, sous les plis du manteau, augure du geste précis malgré les obstacles.
La pensée de Saint Georges s’incarne ainsi dans le moindre geste envisageable. Son calme, bien réel, n’ignore ni le doute ni l’inquiétude. Immobile en cet instant, parcouru d’énergies contraires, il est le lieu d’une projection virtuelle dans le monde qui l’entoure. Et dans l’intériorité frémissante de la sculpture, se trouve le gage secret de son rayonnement.