16 juin 2012
Les deux sont alors élèves de la Classe de Perfection de Christian Johansson (ici, dans le pas de deux Le Pêcheur et la Perle de Petipa). Lorsque je commençai à travailler avec Christian Pétrovitch Johansson, celui-ci avait déjà plus de 80 ans. Très grand mais courbé par l’âge, ne se déplaçant qu’avec difficulté, c’est lui cependant qui nous a enseigné à danser. Et comment il enseignait ! Lorsque Johansson arrivait pour donner ses cours, les frères Legat devaient l’aider à monter les trois étages jusqu’au studio, chacun le tenant par un bras, privilège spécial accordé aux grands élèves. Grâce à leur aide, il entrait dans l’immense studio et s’asseyait, tenant son violon devant lui comme si c’était une guitare. Ses paroles étaient rares. Au moyen de mouvements de la main à peine perceptibles, il nous indiquait les pas à exécuter. Réaction d’un lecteur du site odettesordeal.com Il avait l’air ni de voir ni de comprendre ce qui se passait autour de lui ; en réalité cependant il voyait tout, et notait l’erreur la plus minime. Le suivre était une tâche ardue. A chaque fois qu’il donnait un enchaînement, s’ensuivait un silence à couper au couteau. Chacun cogitait, s’efforçait d’imaginer ce que pouvait être l’enchaînement. Puis l’un de nous s’y essayait. En général tout n’était pas exact, et Johansson secouait sa tête blanche presque imperceptiblement. Alors nous entourions le maestro, nous nous penchions au-dessus de lui et cherchions, dans la concentration absolue, à saisir le détail oublié, l’erreur d’exécution. Cette intense concentration conférait à la leçon une valeur toute particulière. Combien ces leçons nous étaient sacrées ! Et quelle merveilleuse ambiance de respect pour les trésors de l’art régnait parmi ce petit groupe d’enthousiastes ! Michel Fokine, Memoirs of a Ballet Master. Constable & Company, Londres, 1961. Dès que le théâtre a rouvert ses portes en automne j’ai commencé à suivre les leçons de Johansson aux côtés de mon ancien professeur Nicolas Legat, son frère Serge ainsi qu’un petit noyau d’autres danseurs, hommes et femmes. D’emblée je réalisai que je me rapprochais de la source, du fondement même de la danse classique. En entrant dans le studio où enseignait Johansson, j’étais envahi par le même sentiment d’admiration et d’humilité que je ressentais en arpentant les galeries du musée de l’Hermitage.
Dans Tamar Karsavina, par A.R. Foster, Londres 2010.