Qu’est-ce l’étirement ?
22 décembre 2009
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La confrontation avec des contorsions à chaque fois plus étranges dans la profession (Cf. notamment les étirements d’Osipova dans le film sur Youtube « A Year in the Bolshoi ») a inspiré les quelques remarques ci-dessous, qui par précaution ont d’abord été soumises à un professionnel de la santé. Les commentaires sont le bienvenu.
1/ L’ambitus
L’être humain « normal » (par opposition au danseur classique) se déplace et travaille dans un rayon d’articulation (ambitus) qui n’est pas, en réalité, normal. Cet ambitus est très en deçà de son potentiel articulaire réel, et en plus, il se déplace et travaille généralement avec les groupes musculaires importants en position raccourcie.
Ce raccourcissement constant va, à la longue, aboutir au même résultat (arthrose notamment), que l’hyper-usure d’un athlète et parfois, tout aussi rapidement.
Encore une fois, l’on observe que le « normal » n’est pas, en réalité, l’état optimal de l’homme.
On conclut que l’être « normal » devrait d’une part, travailler pour acquérir ou regagner son plein ambitus articulaire, et d’autre part, étirer la musculature raccourcie, et ce, tous les jours.
2/ Or, qu’est-ce l’étirement ?
Dans ce contexte précis, il s’agit d’utiliser un support (mur contre plancher, élastique ou autre résistance), pour redonner au muscle sa longueur optimale par rapport à l’ossature sous-jacente.
Comme l’on utilise un objet ou artifice pour créer une résistance, cela permet, en théorie, de forcer l’ambitus articulaire au-delà de son ambitus optimal. C’est très souvent et même généralement ce que l’on enseigne aux gens de faire dans les académies de danse, et précisément ce qu’il ne faut pas faire.
Pour certains dans la profession, il semblerait que le squelette, étant invisible à l’œil nu, n’existe pas et qu’en conséquence l’on peut faire joujou avec muscle, tendon et ligament, en négligeant la réalité du squelette qui pourtant devrait prévaloir sur tout.
Or, le but de l’étirement est en fin de compte, celui de permettre au squelette de se placer correctement, en rendant au muscle sa longueur optimale par rapport au squelette, et ce, dans la configuration optimale de l’articulation CE JOUR LA. Cette configuration peut changer en fonction du climat, de la saison, du degré de fatigue, du travail effectué...
Optimal ici veut dire physiologique, par opposition à une vue de l’esprit ou une opinion esthétique.
Le but de l’étirement ne doit pas être de frayer un vide articulaire (leeway), brèche dans laquelle l’on espère que la musculature et l’appareil ligamentaire et tendineux va pouvoir par l’effet de quelque miracle s’engouffrer. Toute amplitude gagnée par une telle brèche, sera purement visuelle plutôt que structurelle, et sera payée par de graves lésions qui viendront se révéler au fil du temps.
3/ Création de l’ambitus
Le véritable procédé par lequel on crée l’ambitus articulaire, est un travail de la musculature profonde qui va générer notamment l’en-dehors, en gagnant millimètre par millimètre. C’est le travail de toute une vie, car avec l’âge et l’attirance de la gravité, la musculature voudra se raccourcir et le corps basculer vers l’avant, alors que l’en-dehors, correctement acquis, va maintenir une longueur idéale dans toute la musculature profonde, et va redresser le corps sur son axe.
Une fois l’en-dehors physiologique pour chaque individu acquis, les étirements dans différentes configurations seront indispensables à maintenir cette longueur idéale, mais UNIQUEMENT à l’intérieur de l’ambitus que le travail de la musculature profonde aura D’ABORD acquis.
En passant j’observe qu’il est probablement plus normal, et plus « physiologique », même du point de vue de la bonne disposition des organes internes, pour l’être humain de travailler l’en-dehors, que d’être complètement en parallèle et affalé vers l’avant. Encore un indice que la danse classique, bien comprise, est absolument naturelle.
4/ Pourquoi l’amplitude ?
L’amplitude articulaire dans la danse classique n’est pas un but absolu, de type « the sky’s the limit ».
L’amplitude est recherchée afin d’élargir le champ expressif de la danse théâtrale. Je dis bien danse théâtrale et non art de cirque.
Si le champ expressif est en correspondance direct avec l’amplitude articulaire, il ne s’agit pas d’une correspondance arithmétique. Ainsi, qui dit rayon d’articulation étriqué dit rayonnement expressif restreint – jusqu’à un certain point.
Au delà d’un ambitus articulaire optimal, donc physiologique, non seulement les articulations grincent et grognent, mais les pensées et émotions, sous le coup de l’exagération, de l’indécence et de la douleur, vont se flétrir et se recroqueviller comme l’escargot qui ramène ses cornes et s’enroule peureux dans sa coquille.
L’acrobatie est une exploration de formes physiques, dont le but est la sensation, voire l’horreur. Aucun dialogue entre le public et l’acrobate n’est possible, ni même souhaité. Tandis que l’art théâtral a été créé par l’homme en tant que lieu d’un dialogue d’idées entre l’artiste et le public.
Il est donc essentiel de savoir ce que l’on cherche à dire, et pourquoi, avant de se précipiter vers une exploration de formes purement physiques que la science médicale ne sanctionnerait jamais.
Pour terminer, un collègue vient de nous envoyer ce lien :
http://www.youtube.com/watch?v=cWJxq-VUu3A
Si l’on pratiquait sur des animaux de compagnie, des bêtes sauvages voire même des serpents ou alligators, de telles cruautés, les fauteurs seraient sans aucun doute poursuivis. Et n’allez pas imaginer que ces pratiques gymnastiques n’existent pas dans la danse dite "classique" ! C’est bien à ce prix que l’on obtient les écarts aujourd’hui souhaités !
Pour l’instant, croit-on, ces tortures se pratiquent surtout sur la gente féminine. Pourront-elles encore engendrer ? Leurs entraîneurs n’en ont cure.
Or, des chorégraphes comme Wayne McGregor ou David Dawson - pour ne citer qu’eux - recherchent ces mêmes écarts monstrueux chez l’homme. En viendra-t-on, comme chez les enfants-chanteurs du XVIIème siècle, à alléger la gente masculine de leur précieux fruit qui pourrait poser obstacle ?
Au point où nous en sommes, cela ne surprendrait plus.
K.L. Kanter
’Finalement, à aucun moment ne devrez-vous rechercher la souplesse en prenant vos membres avec les mains pour les replier, tordre ou tourner dans tous les sens. Il n’existe aucune justification pour que vous vous infligiez un tel martyre. Peut-être est-ce utile à l’acrobate mais sûrement pas au danseur. Le seul moyen qui permette d’assouplir les muscles et les membres est en pratiquant avec attention et diligence les exercices du Deuxième Livre.’
Enrico Cecchetti, A Manual of Classical Ballet
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